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LE MANUSCRIT WATSON (1535)


Traduction inédite de l’anglais.


Dans le Seigneur est toute notre confiance.


Grâces soient rendues à Dieu3, notre glorieux père, créateur du ciel et de la terre et de toutes les choses qui s’y trouvent, de ce qu’il ait voulu engager sa glorieuse divinité dans la création de tant de choses utiles à l’humanité. 

Car il a fait toutes ces choses pour qu’elles soient obéissantes et soumises à l’homme. Car il a créé tout ce qui est comestible et bon pour l’homme, à qui il a donné la compréhension et la connaissance de diverses Sciences et de divers arts lui permettant de voyager dans ce monde pour gagner sa vie, et réaliser différentes choses qui plaisent à Dieu et lui procurent aisance et confort. 

Si je devais énoncer ces choses ce serait trop long à raconter et à écrire ; je m’en abstiendrai donc, mais je dois vous en exposer certaines, pour vous apprendre par exemple comment la Science de la Géométrie a été inventée, et qui en furent les inventeurs, ainsi que d’autres arts comme il est dit dans la Bible et dans d’autres livres.

Vous devez savoir qu’il y a sept Sciences libérales, grâce aux­­quelles toutes les Sciences et tous les arts de ce monde ont été inventés ; et l’une d’elles, en particulier, est à la base de tous les autres, savoir la Science de la Géométrie. 

Ces sept Sciences sont les suivantes :

La première qu’on appelle fondement des Sciences a pour nom Grammaire ; elle enseigne à l’homme à parler correctement et à bien écrire. 

La seconde est la Rhétorique ; elle enseigne à l’homme à parler avec grâce et distinction. 

La troisième est la Logique ; elle enseigne à l’homme à distinguer la vérité du faux, et est appelée plus communément art de la Sophistique. 

La quatrième s’appelle l’Arithmétique ; elle enseigne à l’homme l’art des nombres, pour calculer et faire des comp­tes de toutes sortes de choses. 

La cinquième est la Géométrie ; elle enseigne à l’homme toutes les dimensions, les mesures, et les poids de toutes sortes d’ouvrages. 

La sixième est la Musique ; elle enseigne à l’homme l’art de chanter selon des notes émises par la voix, l’orgue, la trompette, la harpe et toutes choses les concernant. 

La septième est l’Astronomie ; elle enseigne à l’homme à connaître la course du soleil, de la lune, des étoiles et des planètes du ciel. 

Nous voulons parler principalement ici de l’invention de la noble Science de la Géométrie et dire qui en furent les fondateurs. Ainsi, comme je l’ai déjà dit, il y a sept Sciences libérales, c’est-à-dire sept Sciences ou arts qui sont libres et nobles par eux-mêmes, lesquels sept n’existent que par la Géométrie. 

Et fo a qr qd et teru lati e et metron mensure, vn Geometrie, i mesure terre nos fra4. 


Et la Géométrie est, en anglais, la mesure de la terreo: Géométrie vient, en grec, de geo qui veut dire “terre” et de metron qui signifie “mesure”, c’est-à-dire “mesurage de la terre”. Ne vous étonnez donc pas que j’aie dit que toutes les Sciences n’existent que grâce à la Géométrie, car il n’est pas un art ou un ouvrage, fait de main d’homme, qui ne se fasse par la Géométrie et la raison en est évidente, car si un hom­me travaille de ses mains il travaille avec un outil déterminé et il n’y a pas d’instrument au monde qui n’ait son origine naturelle dans la terre et à la terre ne doive retourner. 

Et il n’existe aucun instrument, c’est-à-dire d’outil de travail, qui ne dépende, plus ou moins, de proportions. La proportion implique la mesure, et l’outil ou l’instrument appartient à la terre. Or la Géométrie est la mesure de la terre si bien que je peux dire que les hommes vivent tous de la Géométrie, car tous les hommes ici-bas vivent du travail de leurs mains. 

Je pourrais vous donner d’autres preuves de ce que la Géométrie est la Science qui fait vivre tous les hommes doués de raison, mais j’abandonne ici ce point qu’il serait trop long de développer, car je voudrais à présent avancer dans mon propos. Vous comprendrez que parmi tous les arts du monde, en tant que métiers manuels, la Maçonnerie jouit de la meilleure réputation et forme la majeure partie de cette Science de la Géométrie, comme il est dit et noté dans des histoires et dans la Bible, chez le maître des Histoires et dans le Policronion [Polychronicon], dans des récits connus sous le nom de Bède, le De Imagine Mundi, les Étymologies d’Isidore, et dans Méthode, évêque et martyr, et bien d’autres encore. Je pense que l’on peut bien le dire parce qu’elle fut inventée, comme il est noté dans la Bible, au premier livre de la Genèse. 

Parmi les descendants d’Adam, au cours du septième âge adamique et avant le déluge de Noé, il y eut un homme appelé Lamech [Lémec], lequel eut deux épouses, l’une appelée Ada et l’autre Tsillao; de sa première épouse il eut deux fils, l’un appelé Jabal et l’autre Jubal. Son aîné, Jabal, fut le premier à trouver la Géométrieo; Intentores atatqr pastoro: c’est-à-dire qu’il fut le père des hommes ; il devint maître maçon et gouverneur des travaux quand il fonda la cité d’Hénoch, la première cité jamais établie, et ce fut Caïn, fils d’Adam, qui la construisit et la donna à son propre fils, Enoch, et qui la nomma du nom de son fils, savoir cité d’Hénoch, que l’on nomme maintenant Ephraïm. 

C’est là que la Science de la Géométrie et de la Maçonnerie fut pour la première fois pratiquée comme une Science et comme un arto; aussi pouvons-nous dire que telle fut la cause et le fondement de toutes les Sciences et de tous les arts et que cet homme, Jabal, fut appelé pastor pastoru [père des bergers], et comme le disent le Maître des Histoires, Bède, le De Imagine Mun­di, le Polychronicon et bien d’autres il fut le premier à partager la terre afin que tout homme pût savoir quel était son propre terrain, et y travailler pour son bien propreo; et il partagea les troupeaux de moutons, si bien que chacun sût quels étaient ses moutons, aussi pouvons-nous dire qu’il fut l’inventeur de cette Science. 

Et son frère Jubal fut l’inventeur de la musique, comme le dit Pythagore, d’après le Polychronicon ; Isidore dit de même dans ses Étymologies, au sixième livre où il note qu’il fut l’inventeur de la mu­sique, du chant, de l’orgue et de la trompette, et qu’il inventa cette Science en écoutant le ryth­me et le son des marteaux de son frère, Tuball Caine [Tubal-Caïn]. De même, la Bible dit, en son chapitre de la Genèse, que Lémec eut de son autre femme, qui s’appelait Tsilla, un fils et une fille dont les noms furent Tubal-Caïn pour le fils et Naama pour la fille. Bien que certains disent, suivant le Polychronicon, qu’elle fut la femme d’un autre homme mais nous ne saurions l’affirmer. 

Ce Tubal-Caïn fut l’inventeur de l’art de la forge et des autres arts des métaux, c’est-à-dire, du fer et du cuivre, de l’or et de l’argent, selon certains docteurs. Quant à sa sœur Naama, elle inventa l’art du tissage, car auparavant on ne pratiquait pas le tissage, mais on filait et maillait les tissus et on faisait les habits comme on pouvait. Mais Naama inventa l’art de tisser et c’est pourquoi on l’appela l’art de la fem­me. 

Ses frères savaient que Dieu voulait tirer vengeance du péché par le feu ou par l’eau, et ils s’efforcèrent de sauver les Sciences qu’ils avaient inventées ; ils tinrent conseil, et se dirent qu’il existait deux sortes de pierre possédant des vertus telles que l’une ne pourrait jamais brûler – cette pierre est appelée marbre – et l’autre ne pourrait sombrer dans l’eau – et cette pierre est appelée laterus [brique]. 

Ainsi imaginèrent-ils d’écrire toutes les Sciences qu’ils avaient inventées sur ces deux pier­res ; au cas où Dieu voudrait se venger par le feu le marbre ne brûlerait pas, et s’il choisissait de se venger par l’eau, l’autre pierre ne coulerait pas. Ils demandèrent à leur frère aîné Jabal de faire deux colonnes de ces deux pierres, savoir de marbre et de laterus, et d’inscrire sur ces deux colonnes toutes les Sciences et les arts qu’ils avaient inventés ; ainsi fit-il, et nous pouvons dire qu’il agit avec sagesse, car il commença et finit son travail avant le déluge de Noé. 

S’ils savaient bien que Dieu allait envoyer sa vengeance par le feu ou par l’eau, les frères l’ignoraient par prophétie ; ils savaient seulement que Dieu allait envoyer l’un ou l’autre, et c’est pourquoi ils écrivirent leurs Sciences sur les deux colonnes de pierre ; certains disent qu’ils gravèrent les sept Sciences sur les pierres, sachant seulement qu’allait venir un châ­­timent divin. 


De fait Dieu envoya sa vengeance par un tel déluge que toute la terre fut noyée, et que tous les hommes périrent, à l’exception de huit personnes : Noé et sa femme, et ses trois fils, et leurs femmes ; de ces trois fils descend toute l’humanitéo: ils avaient pour noms Sem, Cham et Japhet ; et le déluge fut appelé Déluge de Noé car lui et ses enfants furent sauvés. Et bien des années après ce déluge, on trouva les deux colonnes, comme le rapporte la chronique et, comme le dit le Polychronicon, un grand clerc du nom de Pythagoras [Pythagore] trouva l’un et Hermès, le philosophe, trouva l’autre, et tous deux se mirent à enseigner les Sciences qu’ils y trouvèrent inscrites. 

Chaque chronique, chaque histoire, ainsi que de nombreux clercs et la Bible surtout, attestent de la construction de la Tour de Babylone [Babel]o; on relève dans la Bible (Genèse, chapitre 10) comment Cham, fils de Noé, engendra Nimrod, comment celui-ci devint puissant sur terre, tel un géant, et quel grand roi il fut. Dès le début de son règne, il fut le vrai roi de Babylone, d’Érech et d’Accad, de Calné et du pays de Schinear. 

Et ce même Nimrod entreprit la construction de la tour de Babylone et il enseigna à ses ouvriers l’Art de la Maçonnerie, ayant avec lui plus de 40 000 maçonso; il les aima bien et leur prodigua toute son affection, ainsi qu’il est écrit dans le Polychronicon, et chez le Maître des Histoires, et dans maints autres trai­tés, sans compter le témoignage de la Bible au même chapitre 10, où il est dit qu’Assur, qui était proche parent de Nimrod, sortit du pays de Schinear et bâtit les villes de Ninive et de Plateas, et bien d’autres encore ; car il est dit5o: 

Ve illa taira in defemare egressus est Asshur, et edificavit Ninevi et implecens anitates et calath et Rifio qr is Ninivehet calath he est civitas magr.


La raison voudrait que nous exposions clairement de quelle façon les devoirs de l’art des maçon furent inventés et qui donna pour la première fois son nom à la Maçonnerie. Vous devez savoir que c’est clairement dit dans le Polychronicon et chez Méthode, évêque et martyr. Assur était un noble seigneur de Schinear qui, envoyé près du roi Nimrod, lui demanda de dépêcher des maçons et des ouvriers capables de l’aider dans la construction de la ville qu’il avait l’intention d’entreprendre et de terminer. Et Nimrod lui envoya trente centaines de maçons. Et quand ceux-ci furent prêts à partir, il les convoqua pour leur dire : 

« Allez chez mon cousin Assur pour l’aider à bâtir une ville ; mais veillez à bien vous conduire pour votre bien et aussi pour le mien ; Faîtes loyalement votre travail et demandez un salaire raisonnable pour votre peine, correspondant à votre mérite. Je vous demande de vous comporter comme des frères, et de demeurer unis. 

« Que celui qui a un grand savoir l’enseigne à son frère ou compagnono; et veillez à bien vous conduire vis-à-vis de votre Seigneur et entre vous, de telle façon que je puisse ainsi être remercié pour vous avoir envoyés et vous avoir appris le métier ». 

Ils [les maçons] reçurent ainsi les instructions de celui qui était leur maître et seigneur, et partirent chez Assur bâtir la cité de Ninive dans le pays de Plateas, et bien d’autres villes, qu’on appelle Calach et Résen, qui est une grande ville entre Calach et Ninive. C’est de cette façon que l’art de la Ma­çon­­ne­rie fut pour la première fois présenté comme une Science et un art. 

La raison voudrait que nous vous montrions comment les Anciens, qui ont vécu avant nous, ont établi des devoirs en latin et en français, et comment Euclide vint à la Géométrie ; nous devrions vous le dire comme il est noté dans la Bible et dans d’autres récits. Dans le chapitre douze de la Genèse, il est dit qu’Abraham vint dans le pays de Canan, et que le Seigneur lui apparut et lui dit : « Je te donnerai ce pays ainsi qu’à ta descendanceo». 

Mais une grande famine survint dans le pays et Abraham prit Sara, sa femme, avec lui et alla en pèlerinage en Égypte, avec l’intention d’y rester tant que durerait la famine. Abraham, comme le dit la chronique, était un homme sage et un grand clerc ; il connaissait les sept Sciences et enseigna aux égyptiens la Science de la Grammaire6. 

Le noble clerc Euclidus [Euclide] fut son étudiant et apprit de lui la Maçonnerieo; ce fut lui qui lui donna pour la première fois le nom de Géométrie. 

Il est dit dans les Étymologies d’Isidore, au livre cinq (Ethemologiarum Capitulo primo), qu’Euclide fut l’un des inventeurs de la Géométrie et qu’il la nomma ainsi ; car à son époque il y avait au pays d’Égypte un fleuve nommé Nil, qui se répandait si loin dans les terres que les gens ne pouvaient y habiter. 

Alors Euclide, ce grand clerc, leur apprit à construire de grandes digues et de grands fossés pour se protéger de l’eauo; par la Géométrie il mesura le pays et le partagea en divers lots, et ordonna à chacun d’enclore son propre lot de digues et de fossés ; et le pays devint si riche en enfants et jeunes gens, garçons et filles, que les jeunes ne purent y vivre à l’aise. Et les Seigneurs du pays s’assemblèrent et tinrent con­seil pour savoir comment aider leurs enfants qui n’avaient pas de quoi vivre, comment se procurer une subsistance pour eux-mêmes et leurs enfants devenus si nombreux. Dans l’as­semblée se trouvait Euclide, le noble clerc ; quand celui-ci vit que personne ne trouvait de solution, il leur dit : 

« Confiez-moi vos fils et je leur enseignerai une Science telle qu’ils en vivront noblement, à condition que vous me juriez de suivre les directives que je vous donnerai à tous ». 

Le roi du pays et tous les seigneurs y consentirent. Il était logique que tous consentissent à cet arrangement, qui leur était profitable et ils confièrent leurs fils à Euclide pour qu’il les dirigeât à son gré et leur enseignât l’art de la Maçonnerie. Il lui donna le nom de Géométrie à cause du partage de la terre, comme il l’avait enseigné aux gens du temps de la construction des digues et des fossés, déjà mentionnée, pour se protéger de l’eau. 

C’est Isidore qui dit, dans ses Étymo­­logies, qu’Euclide appela cet art Géométrie ; ainsi ce noble clerc lui donna un nom et l’enseigna aux fils des seigneurs du pays dont il avait la char­ge. Et il leur donna pour instruction de s’appeler mutuellement compagnons, et pas autrement, parce qu’ils étaient d’un même métier, de naissance noble et fils de seigneurs. En outre celui qui serait le plus expert serait maître d’ouvrage et on l’appellerait Maître ; bien d’autres instructions se trouvent inscrites au Livre des Devoirs. Ainsi ils travaillèrent pour les seigneurs du pays et construisirent des cités et des villes, des châteaux et des temples, et des demeures seigneuriales ; et ils vécurent honnêtement et loyalement de leur art. 

Pendant le temps de leur installation en Égypte, les enfants d’Israël apprirent l’art de la Maçonnerie ; après qu’ils eurent été chassés d’Égypte, ils arrivèrent dans la terre de Bethesda, qui s’appelle maintenant Jérusalem ; l’art y fut pratiqué et les devoirs observés. 


Lors de la construction du temple de Salomon, que commença le roi David (le roi David aima bien les maçons et leur donna des devoirs fort proches de ce qu’ils sont aujourd’hui), ainsi qu’il est dit dans la Bible au Livre III des Rois7 chapitre cinq (Regnum i tertio regun regn capitul quinto), Salomon avait quatre-vingt mille maçons sur son chantier, et le fils du roi de Tyr était son maître maçon. Il est dit dans d’autres chroniques, comme dans de vieux livres de maçonnerie, que Salomon confirma les devoirs que David son père avait donnés aux maçons. Et Salomon lui-même leur enseigna leurs coutumes, peu différentes de celles qui sont en usage aujourd’hui. Et dès lors cette noble Science fut portée en France, par la grâce de Dieu, et dans bien d’autres régions. 

En France, il y eut un preux chevalier dont le nom était Carolus Secundus, c’est-à-dire Char­les II ; et ce Charles fut élu roi de France, par la grâce de Dieu et aussi la naissance. Cer­tains disent qu’il fut seulement choisi par suite des événements, ce qui est faux puisque selon la chronique il était de sang royal. 

Ce même roi Char­les fut maçon avant que d’être roi ; et après être devenu roi il conserva son affection et sa protection aux maçons, et il leur donna des devoirs et des coutumes de son invention, dont certains sont encore en usage en France ; et il prescrivit qu’ils [les maçons] aient un salaire raisonnable et qu’ils tiennent une assemblée une fois par an, afin d’y discuter des affaires communes et qu’y soit reçu, par les maîtres et les compagnons, tout maçon honnête ou autre homme méritant ayant de l’attachement pour l’Art de la Maçonnerie et qui voudrait savoir comment cet art de la Maçonnerie fut introduit en Angleterre, par qui il fut établi et confirmé, comme il est relevé et écrit dans des histoires d’Angleterre et dans d’anciens devoirs, datant du temps de St. Albanes [Saint Alban]. 

Le roi Ethelstone [Athelstan] devait déclarer qu’Am­pha­bell [Amphiballe] était venu de France en Angleterre, qu’il avait converti saint Alban au christianisme et fait de lui un chrétieno; et qu’il avait apporté avec lui les devoirs des maçons tels qu’ils étaient pratiqués en France et dans d’autres pays. 

A cette époque, le roi de ce pays était un païen, installé là où se trouve aujourd’hui [la ville de] Saint-Albanso; où il employait de nom­breux maçons à la construction des murs de la villeo; et saint Alban était intendant du roi, maître trésorier et gouverneur des travaux royaux ; il aimait bien les maçons, les protégeait et leur accordait un bon salaire, car un maçon ne percevait alors qu’un penny8, sa nourriture et sa boisson par jour. 

Saint Alban obtint du roi que chaque maçon recevrait trente pence par semaine et quatre pence pour ses collations9 ; et il obtint pour eux [les maçons] des devoirs et des coutumes tels ceux que lui avait enseignés saint Amphiballe, devoirs et coutumes peu différents de ceux qui sont en usage de nos jours ; ces devoirs et usages avaient été utilisés pendant de nombreuses années, puis presque perdus du fait de gran­des guer­res, jusqu’au temps du roi Athelstan. 

Edwine [Edwin] aima bien la Géométrie ; il s’appliqua à apprendre cette Science, et désira aussi en avoir la maîtrise, si bien qu’il appela à lui les meilleurs maçons qui se trouvaient dans le royaume, car il savait bien qu’ils pratiquaient mieux la Géométrie que n’importe qui dans le royaume. 

Et il apprit d’eux la Maçonnerie, et il les aima bien et les protégeao; et il apprit d’eux les devoirs et les coutumes, et ensuite, poussé par l’amour qu’il avait de cet art et les bons enseignements que l’on pouvait y trouver, il obtint une charte de franchise du roi, son père, leur accordant la liberté de rendre par eux-mêmes la justice, et de s’assembler pour régler leurs différends internes. 

Ils constituèrent une grande congrégation de maçons, qui se réunit à York, où il [Edwin] se trouva lui-même ; il requit la participation des anciens maçons du royaume à la congrégation, et leur demanda de lui apporter tous les écrits et vieux livres du métier qu’ils pouvaient posséder.

De ces livres furent élaborés, par les maçons les plus avisés, des devoirs qu’il leur ordonna de conserver et d’observer ; il décida que la congrégation10 serait appelée assemblée, et qu’ils [les maçons] recevraient une bonne paie afin de pouvoir vivre honnêtement. 

Ainsi ces devoirs, que je présenterai ci-après, et l’Art de la Maçonnerie ont été établis et mis en pratique en Angleterre. 

De respectables maîtres et compagnons, qui se sont réunis en diverses assemblées et congrégations, avec l’assentiment des seigneurs de ce royaume, ont ordonné et établi des devoirs au mieux de leur savoir de façon telle que les hommes qui seraient faits et reconnus maçons pourraient jurer sur un livre de les conserver en l’état, en toutes circonstances et de toutes leurs forces ; ils ont aussi décidé que lors de la réception et de l’admission de tout compagnon ces devoirs devraient être lui être lus et par lui acceptés. 

Ces devoirs ont été vus et examinés par le défunt souverain, le roi Henri le sixième11, et par les seigneurs de son honorable conseil, qui les ont dûment entérinés, déclarant qu’il était bon et raisonnable de les appliquer. 

Et ces devoirs ont été tirés de divers livres anciens, tant de l’ancienne que de la nouvelle Loi, comme ils ont été confirmés et établis en Égypte par le roi et par le grand clerc Euclide, lors de la construction du Temple par le roi David et par Salomon son fils, en France par le roi Charles, et en Angleterre par saint Alban qui était l’intendant du roi de son temps, et plus tard par le roi Athelstan qui fut roi d’Angleterre, et par son fils qui fut roi après son père, ainsi qu’il est relaté dans de nombreux récits, histoires et chapitres.


Voici quels sont ces devoirs, généraux et particuliers :

1. - Le premier devoir est que vous soyez des hommes fidèles à Dieu et à la Sainte Église12, que vous ne devez user d’erreur ou d’hérésie, en votre entendement, et demeurer discret quant à l’enseignement des hom­mes avisés.

2. - Vous devez être des hommes liges du roi d’Angleterre, vous gardant de toute trahison et déloyauté ; et si vous avez connaissance de quelque félonie, vous devez l’empêcher si vous pouvez, ou bien alerter le roi ou ses ministres, ses lieutenants ou ses officiers.

3. - Vous serez loyaux les uns envers les autres, c’est-à-dire envers tous les maîtres et compagnons de la Science et du métier de Maçonnerie qui ont été reconnus maçons, et agirez à leur égard comme vous aimeriez qu’ils agissent envers vous.

4. - Vous garderez secrètes les délibérations tant de la Loge que de la Chambre13, et toutes les autres délibérations qu’il y a lieu de garder [secrètes] en matière de Maçonnerie.

5. - Aucun maçon ne se fera voleur, autant que faire se peut.

6. - Il sera fidèle au seigneur et au maître qu’il sert, et œuvrera pour leur bien et leur profit.

7. - Vous appellerez les maçons Compagnons ou Frères, et ne leur donnerez aucun nom désobligeant ; n’abuserez jamais de la femme de votre compagnon, ni ne désirerez sa fille ou sa servante.

8. - Et aussi, vous paierez honnêtement votre nourriture et votre boisson partout où vous logerez ; et vous ne ferez rien de nature à nuire au métier, ou encourir sa disgrâce.

Ce sont les devoirs généraux qui doivent être observés par par chaque maçon, qu’il soit maître ou compagnon. 


Voici maintenant certains Devoirs particuliers :

1. - Aucun maître ou compagnon ne se chargera de l’œuvre d’un seigneur, ou de toute autre personne, s’il ne se sait suffisamment capable et instruit pour l’achever, de manière qu’il n’en résulte aucun dommage pour le métier, et que le seigneur soit bien et loyalement servi.

2. - Aucun maître ne prendra d’ouvrage à un prix déraisonnable, mais de sorte que le seigneur puisse être bien et loyalement servi, et que le maître puisse vivre honorablement et payer loyalement ses compagnons, comme le veut la coutume du métier.

3. - Aucun maître ou compagnon n’en évincera un autre de son travailo; c’est-à-dire que si quelqu’un est chargé d’un travail, ou est maître de l’œuvre d’un seigneur ou de quel­qu’un d’autre, on ne l’en évincera pas, sauf s’il est incompétent pour l’achever.

4. - Aucun maître ou compagnon ne prendra d’apprenti pour une durée inférieure à sept années ; et si l’apprenti n’est de naissance suffisante et de bonnes mœurs, comme il se doit d’être.

5. - Aucun maçon, ou compagnon, ne prendra l’initiative de faire un maçon, sans avoir obtenu le consentement d’au moins cinq ou six de ses compagnons.

Et celui qui sera fait maçon devra affirmer qu’il est libre de naissance, de bonne famille, et libre de tout servage, et qu’il dispose de l’usage de tous ses membres.

6. - Aucun maître ou compagnon n’acceptera d’un seigneur une tâche qui ne correspondrait pas à une journée de travail.

7. - Chaque maître donnera à ses compagnons un salaire correspondant au travail accompli, et le seigneur ne doit pas être déçu par un mauvais travail.

8. - Aucun compagnon ne doit médire d’un autre derrière son dos, de manière telle à lui faire perdre sa bonne réputation ou ses biens terrestres.

9. - Aucun compagnon, ni dans la Loge ni au dehors, ne répondra mal ou avec réprobation à un autre, sans avoir un motif raisonnable.

10. - Tout maçon respectera ses supérieurs, et les honorera.

11. - Aucun maçon ne participera à des jeux de hasard, ni aux dés, ni à aucun autre jeu défendu, qui pourraient porter préjudice au métier.

12. - Aucun maçon ne vivra dans la débauche ou la luxure, ce qui ferait médire du métier.

13. - Aucun compagnon ne doit aller en ville le soir sans avoir avec lui un compagnon pour témoigner qu’il était en bonne compagnie ; car s’il le fait, une Loge de compagnons devra punir ce péché.

14. - Tout maçon et compagnon devra venir à l’assemblée si elle a lieu dans un rayon de cinq miles14 autour de lui, et s’il a été sommé de s’y présenter ; afin d’y être soumis au jugement des maîtres et des compagnons.

15. - Tout maître et compagnon, s’il a commis un délit contre le métier, doit se soumettre à la sentence des maîtres et des compagnons. Et si ceux-ci ne peuvent se mettre d’accord, ils devront s’en remettre à la loi civile.

16. - Aucun maître ne fera de gabarit, d’équerre ni de jauge à un maçon de pose15.

17. - Aucun maître ou compagnon ne donnera à un maçon de pose, dans la Loge ou en dehors, à assembler des pierres taillées avec un gabarit de sa fabrication.

18. - Tout maître accueillera et traitera avec affection les maçons étrangers quand ils arriveront après avoir parcouru le pays, et il leur donnera du travail comme le veut la coutume.

C’est-à-dire que s’il a des pierres à sculpter sur place, il leur donnera du travail pour une quinzaine de jours au moins, et il leur paiera leur salaire ; et s’il n’a pas de pierres à leur donner à travailler, alors il leur donnera de quoi aller jusqu’à la prochaine Loge.

19. - Vous devrez servir loyalement le seigneur pour votre salaire, et achever loyalement votre ouvrage, qu’il soit à la tâche ou à la journée, si vous voulez pouvoir être payé loyalement comme il était convenu.

20. - Chaque maçon doit travailler loyalement les jours ouvrables de la semaine, afin d’avoir le droit de recevoir son salaire et de le mériter, de manière à en vivre honorablement les jours de congéo; que vous et tous les maçons receviez honorablement votre salaire du maître qui vous paie, et que lui répartisse les temps de travail et de repos sur votre chantier selon ce qui a été ordonné par le conseil des maîtres.

21. - Si des compagnons ont quelque querelle ou dissension, vous devrez intervenir honnêtement pour parvenir à un accordo; et vous ne devrez favoriser aucune des parties, mais agir avec justice et loyauté envers chacun de façon, en temps opportun, à ne pas nuire à l’œuvre du seigneur.

22. - En outre, si vous êtes Surveillant [parlier] ou avez quel­que autorité sur les maçons de votre chantier, vous devrez être loyal envers votre maître tant que vous serez avec lui, et être un intermédiaire loyal entre le maître et ses compagnons autant que vous le pourrez.

23. - Enfin, si vous êtes établi Intendant de la Chambre de votre Loge, ou des besoins de la maison commune, vous devrez rendre compte honnêtement de l’emploi que vous ferez de l’argent des compagnons, à quelque moment qu’ils vous le demanderont.

Et de plus, si vous êtes plus habile que le compagnon qui travaille à côté de vous, et si vous voyez qu’il est en danger de gâter sa pierre et a besoin de votre conseil, vous devrez l’en informer, et l’instruire en termes courtois, afin que l’ouvrage du seigneur ne soit pas gâté.

Ces devoirs que nous venons de vous rapporter dans le détail, vous les observerez bien et fidèlement, de tout votre pouvoir. 

Que Dieu vous vien­ne en aide, et par le saint con­tenu de ce Livre.

Edward Thompson.

Anno Domini 1687.

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NOTES

1 - Énoncés en histoires légendaires, règlements et obligations, les Anciens Devoirs, au nombre d’une centaine, sont généralement répartis en familles distinctes, dont les plus importantes sont (outre le Regius placé hors familles) : les familles Grand Lodge (53 documents), Sloane (21 doc.) et Tew (9 doc.) ; la famille Plot compte 6 documents, la famille Cooke seulement 3.

2 - Le Manuscrit Watson que nous reproduisons, à partir du texte originel, n’a donc rien à voir avec celui que diffusent certains sites internet anglaiso; celui-ci pouvant être comparé avec les Manuscrits Grand Lodge n°1 (1583) ou York n°1 (1600).

3 - Le texte du Manuscrit Watson ressemble étrangement à celui d’un Ancien Devoir antérieur, le Manuscrit Cooke, que l’on date de 1410. A croire que l’un est directement issu de l’autre ; l’hypothèse est rejetée par bon nombre d’auteurs ma­çonniques, tels G. W. Speth, C.C. Howard et W. Begemann, pour qui les deux documents seraient les héritiers d’un troisième... aujourd’hui disparu. 

4 - Voir Manuscrit Cooke, note 2.

5 - Nouvelle confusion entre la tour de Babel et la tour de Babyloneo; voir le Manuscrit Cooke.

6 - Voir Manuscrit Cooke, note 12.

7 - Grammaire - dans le Manuscrit Cooke, il est dit : Géo­métrie.

8 - Voir Ms Cooke, note 14.

9 - Penny - Unité monétaire anglaise (pluriel : pence).

10 - Le rédacteur a écrit : « iiij d for their non finding », ce qui n’a aucun sens si l’on ne traduit pas, comme il se doit, « iiij » par quatre et «onon findingo» par… collation (jadis en anglais : nunchion).

11 - Congrégation, assemblée - Une assemblée est une «oréunion d’un certain nombre de personnes », quand une congrégation est une «oas­sem­blée de cardinaux et de prélats, permanente ou temporaire, chargée d’examiner certaines affaires spéciales » (Académie française).

12 - Henri VI d’Angleterre, fils d’Henri V et de Catherine de Valois, époux de Marguerite d’Anjou, régna de 1422 à 1461 et de 1470 à sa mort. Il fut un temps dépossédé de son royaume par Édouard d’York, petit fils de Charles VII de France.

13 - Le Manuscrit Watson date, dit-on, de 1535. Il pourrait avoir une datation légèrement plus ancienne si l’on s’en réfère à la mention « Holy Churcho» (la Sainte Église), qualificatif courant de l’Église catholique romaine. En effet, n’ayant pu obtenir en 1527, du pape Clément VII, l’annulation de son mariage avec Catherine d’Aragon, Henri VIII impose diverses mesures contraires aux intérêts de l’Église. En décembre 1534, le Parlement vote l’Acte de Suprématie, faisant du roi, le chef suprême sur terre de l’Église d’Angleterre. 

14 - Lodge and Chamber : la Loge (le chantier) et la Chambre (le lieu de réunion) sont clairement différenciées dans le texte.

15 - Mille (mile) : unité de distance ; 1 mille = 1 609 m.

16 - A l’époque où a été transcrit le Manuscrit Watson, le terme « Mason » (maçon) se rapporte aussi bien au tailleur de pierre (Mason hewers, maçon de taille) qu’au maçon bâtisseur ou de pose (Mason layers).

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