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LES CONSTITUTIONS D'ANDERSON (1723)


Histoire, Lois & Obligations


Traduction inédite de l’anglais.


LES CONSTITUTIONS DES FRANCS-MAÇONS

Contenant l’Histoire, les Obligations, les Règlements &c.

de cette très Ancienne et très Respectable Fraternité.

A l’usage des Loges


Imprimé à Londres par WilliamHunter,

In the Year of Masonry 5723.


DÉDICACE


A sa grâce le Duc de Montagu


Monseigneur,

Sur ordre de sa grâce le duc de Wharton, présent Très Respectable Grand Maître des Francs-Maçons et, en tant que son Adjoint, je dédie, humblement, ce Livre des Constitutions de notre ancienne Fraternité à votre grâce, en témoignage de la manière honorable, prudente, et vigilante dont elle avez rempli, l’an dernier, son Office de Grand Maître.

Je n’ai pas besoin de dire à votre grâce quelle peine a pris notre savant auteur pour compiler et ordonner ce livre, à partir des vieilles archives, et avec quelle précision il a tout comparé et concilié avec l’Histoire et la chronologie des faits, pour établir ces Nouvelles Cons­titutions, exposé fidèle et précis de la Maçonnerie, du commencement du monde jusqu’à la Grande Maîtrise de votre grâce, tout en conservant ce qui était véritablement ancien et authentique dans les anciennes. 

Tous les Frères seront satisfaits du travail réalisé, car ils sauront qu’il a reçu l’accord de votre grâce, et qu’il est maintenant imprimé à l’usage des Loges, après avoir été approuvé par la Grande Loge, lorsque votre grâce était Grand Maître. 

La Fraternité tout entière se souviendra toujours de l’Honneur que votre grâce lui a fait, et de votre sollicitude pour préserver sa paix et son harmonie, comme de votre solide Amitié. Ce à quoi personne n’est plus sensible que, Monseigneur, le plus obligé, le plus obéissant serviteur, et frère fidèle,                                          J.T. DESAGULIERS 4

Grand Maître adjoint.


LA CONSTITUTION


Histoire, Lois, Obligations, Ordonnances, Règlements et Usages de la très respectable Fraternité des Maçons libres et acceptés, Extraits de leurs Archives générales et de leurs Traditions authentiques de toutes les époques, Devant être lus lors de l’admission d’un nouveau Frère, quand le Maître ou un Surveillant en commencera la lecture, ou ordonnera à quelque autre Frère de les lire comme suit :


Adam, notre premier parent, créé à l’image de Dieu, le Grand Architecte de l’Univers, dut avoir les Sciences libérales, particulièrement la Géométrie, écrites sur son cœuro; car même depuis la Chu­te05, nous en trouvons les principes dans le cœur de ses descendants, lesquels principes ont été, dans le cours du temps, rassemblés en une méthode pratique de propositions empruntées à la Mécanique : de telle façon qu’à mesure que les Arts mécaniques donnaient aux sa­vants l’occasion de réduire les éléments de la Géométrie en une méthode, cette noble Science ainsi réduite, fut le fondement de tous les Arts (particulièrement de la Maçonnerie et de l’Architecture) et la règle suivant laquelle ils sont conduits et pratiqués (Année du Monde 4003 avant le Christ)6.

Adam enseigna sans aucun doute la Géométrie à ses fils, et son usage, dans les divers Arts et Métiers qui convenaient pour le moins à cette époque ancienne ; car Caïn, nous le savons, cons­truisit une cité qu’il appela Consacrée, ou Dédiée, d’après le nom de son fils aîné Hé­nocho; et lui devenu le Prin­ce de la moitié de l’humanité, sa postérité imita son exemple royal en améliorant à la fois la noble Science et l’Art utile. 

Nous ne pouvons pas, non plus, supposer que Seth était moins instruit puisque, étant le Prince de l’autre moitié de l’humanité, il fut aussi le premier à pratiquer l’Astronomie, et prit autant de soin à enseigner la Géométrie que la Maçonnerie à ses descendants, qui avaient aussi l’immense avan­tage d’avoir Adam vivant au milieu d’eux.

Mais sans tenir compte de témoignages incertains, on peut en déduire avec certitude que l’ancien monde, qui dura 1656 ans, ne pouvait ignorer la Maçonnerie ; et que les familles de Seth et de Caïn ont érigé un grand nombre d’ouvrages étonnants jusqu’à ce que Noé, de la neuvième génération de Seth, ait reçu de Dieu l’ordre de construire la grande Arche qui, bien qu’étant en bois, fut certainement édifiée par la Géométrie, selon les règles de la Maçonnerie.

Noé et ses trois fils, Japhet, Sem et Cham, tous étant de véritables Maçons, emportèrent avec eux, après le Déluge, les traditions et les Arts des générations précédentes, et ils les communiquèrent largement à leur descendance de plus en plus nombreuse. Cent-un ans environ après le Déluge (Anno Mundi 1757-2247 Ante Christum)7, en effet, nous trouvons un grand nombre d’entre eux, sinon la totalité de la postérité de Noé tout entière, dans la vallée de Shinéar, employé à bâtir une ville et une haute tour, pour se faire un nom et éviter d’être dispersés. 

Et ils poursuivirent ainsi leur ouvrage jusqu’à une hauteur prodigieuse, et leur vanité amena Dieu à maudire leurs projets en brouillant leurs langages, ce qui provoqua leur dispersion. Pourtant, on ne doit pas moins rendre hommage à leur maîtrise de la Maçonnerie. Ils avaient travaillé plus de 53 ans à cette œuvre prodigieuse et, au moment où ils furent dispersés, ils emportèrent avec eux un savoir considérable vers des pays lointains. Ils en firent bon usage pour établir leurs royaumes, leurs empires et leurs dynasties. 

Et bien que ce savoir se fût ensuite perdu dans la plupart des pays du monde, il fut sauvegardé, en particulier, dans le pays de Shinéar et en Assyrie. 

C’est là que Nemrod [Nimrod], qui avait fondé ce royaume après la dispersion [de Babel], bâtit de nombreuses villes splendides, telles Erek, Akkad et Kalné au pays de Shinéar. Il se rendit ensuite en Assyrie, et construisit Ninive, Reboboth, Kalah et Résen. Il y eut par la suite, dans ces pays, sur les bords du Tigre et de l’Euphrate, une floraison de prêtres et de mathématiciens érudits, connus sous le nom de Chaldéens et de Mages, qui préservèrent la bonne Science de la Géométrie, car les Rois et les hommes importants soutenaient l’Art royal. Mais il n’est pas convenable de parler davantage de ces prémisses, hormis en Loge constituée.

Dès lors, la Science et l’Art se transmirent aux époques suivantes et dans des pays lointains, malgré la confusion des langues ou des dialectes, ce qui aurait pu permettre aux Maçons de développer la possibilité et la pratique ancienne qu’ils détenaient de communiquer sans parler et de se reconnaître à distance ; elle [la confusion] n’empêcha cependant pas la Maçonnerie de se développer partout où ils s’étaient établis, ni de communiquer entre eux dans leurs différents dialectes nationaux.

Il est certain que l’Art royal fut introduit en Égypte par Mitzraïm [Mitsraïm], second fils de Cham, qui vint s’y établir, six ans environ après que la confusion des langues ait eu lieu à Babel, 160 ans après le Déluge (Égypte se dit Mitsraïm en hébreu) ; ceci parce qu’en passant par-dessus ses berges, le Nil provoqua bientôt un développement de la Géométrie, ce qui, par voie de conséquence, mit la Maçonnerie fort à con­tribution. 

Les grandes villes antiques comme les autres édifices magnifiques de ce pays, et en particulier les célèbres pyramides, montrent bien que cet antique royaume en avait déjà le goût et le génie. 

De plus, l’une de ces pyramides égyp­tiennes est considérée comme la première des sept Merveilles du monde, et la description qu’en font les historiens et les voyageurs est bien difficile à croire.

Les chroniques sacrées nous apprennent que les onze petits-fils de Canaan (le plus jeune fils de Cham) s’établirent bientôt dans des places fortes, et dans des villes entourées de majestueuses murailles, et qu’ils édifièrent des temples et des palais de toute beauté ; lorsque les Israélites, sous la conduite du grand Josué, envahirent leur pays, ils le trouvèrent si parfaitement défendu que, sans l’intervention directe de Dieu en faveur de son peuple élu, les Cananéens eussent été invulnérables. On ne peut supposer que les autres fils de Cham, tels que Cush, son fils aîné, en Arabie méridionale, et Puth (maintenant appelée Fez), en Afrique occidentale, aient fait moins bien.

Ce qui est certain c’est que la belle et vaillante postérité de Japhet, fils aîné de Noé (telle qu’elle se répandit dans les îles des Gentils), fut tout aussi habile en Géométrie qu’en Maçonnerie ; on ne sait que peu de chose de leurs activités, et de leurs grandes réalisations, jusqu’à ce que leur savoir tout neuf fut pratiquement perdu à cause des ravages de la guerre, et parce qu’ils n’avaient pas maintenu de relations normales avec les nations cultivées et civilisées. Lorsque, par la suite, ces relations furent rétablies, on découvrit que c’étaient des architectes des plus expérimentés.

La postérité de Sem eut tout autant d’occasions de pratiquer cet Art indispensable, même ceux d’entre elle qui s’établirent dans le sud et dans l’est de l’Asie ; bien plus encore, ceux qui formaient dans le vaste empire d’Assyrie, un groupe à part, ou qui se trouvaient mélangés à d’autres familles. Qui plus est, cette branche sacrée de Sem (dont est issu le Christ, pour ce qui est de la chair) ne pouvait être malhabile dans les Arts savants d’Assyrie ; car, environ 268 ans après la confusion de Babel, Abraham dut quitter Ur, en Chaldée, où il avait appris la Géométrie et les Arts qui en sont issus ; il alla consciencieusement les transmettre à Ismaël, à Isaac, et aux fils qu’il eut de Keturao; et, par Isaac, à Ésaü et à Jacob, et aux douze patriarches. Les Juifs croient qu’Abraham enseigna également la Science assyrienne aux Égyptiens.

En fait, la famille élue n’utilisa longtemps que l’architecture militaire, car ils n’étaient que des itinérants parmi les nations étrangèreso; mais avant la fin des 430 années de leur pérégrination, 86 ans environ, même, avant l’Exode, les rois d’É­gypte forcèrent la plupart d’entre eux à abandonner leurs instruments de bergers et leurs équi­pements de guerre ; ils les formèrent à un autre genre d’architecture, faisant usage de la pierre et de la brique, comme nous l’indiquent les saintes Écritures et d’autres histoires ; Dieu en décida ainsi avec sagesse, pour faire d’eux de bons Maçons avant qu’ils ne possèdent la Terre promise, et ne deviennent renommés pour [la pratique d’] une Maçonnerie très particulière.

Tandis qu’ils marchaient vers Canaan, à travers l’Arabie, et sous la conduite de Moïse, il plut à Dieu de mettre dans le cœur de Betsaléel (de la tribu de Juda), et d’Oholiab, (de la tribu de Dan), la sagesse nécessaire à la construction de cette tente glorieuse (ou tabernacle) destinée à abriter la Shekinah [ou Gloire divine]. Bien qu’elle ne fût ni de pierre ni de bri­que, elle [la tente] fut érigée par la Géométrie en un élément d’architecture magnifique (appelé à servir plus tard de modèle pour le Temple de Salomon), élaboré d’après le plan que Dieu avait montré à Moïse sur la montagne ; ce dernier devint, en conséquence, Grand Maître Maçon, mais aussi roi de Yechouroun, car il était fort expert dans tout ce qui con­cernait la Science des Égyptiens, et divinement inspiré dans la connaissance de la sublime Maçonnerie.

Ainsi, les Israélites, à leur sortie d’Égypte, constituaient-ils un roy­aume de Maçons, bien instruits sous la conduite de leur Grand Maître Moïse qui, dans le désert, les réunissait fréquemment en Grande Loge régulière, et leur donnait de sa­ges Obligations et Règlements qu’ils auraient du bien ob­ser­ver . 

Mais on ne peut dire davantage de ces prémices. Lorsqu’ils furent en possession de la terre de Canaan, les Israélites ne se montrèrent pas inférieurs, en Maçonnerie, aux anciens habitants du pays, mais, au contraire, ils développèrent largement celle-ci, sous l’autorité directe du Ciel ; ils renforcèrent les fortifications, et améliorèrent les maisons de ville et les palais de leurs chefso; et ne furent défaillants en Architecture sacrée que le temps de la construction du tabernacle, rien de plus. 

Car le plus bel édifice sacré des Cananéens était le Temple de Dagon à Gaza, chez les Philistins, magnifique et assez spacieux pour recevoir 5!000 personnes, sous son toit, que soutenait de façon harmonieuse, deux colonnes principaleso; c’était là, il faut bien l’admettre, ce qui révélait admirablement leur prodigieuse maîtrise de la Maçonnerie.

Le Temple de Dagon et les plus beaux édifices de Tyr et de Sidon ne pouvaient se comparer, toutefois, au Temple du Dieu éternel, à Jérusalem. Il avait été commencé, et achevé, à l’étonnement du monde entier, dans le court laps de temps de sept ans et six mois, par cet homme très sage, ce très glorieux roi d’Israël, ce prince de la Paix et de l’Architecture qu’était Salomon (le fils de David, auquel cet honneur avait été refusé pour avoir été un homme sanguinaire), sous la direction divine, sans le bruit des outils des ouvriers, bien qu’y aient été employés au moins 3.600 princes, ou Maîtres Maçons, qui œuvrèrent sous la conduite de Salomon ; avec 80.000 tailleurs de pierre dans la montagne, ou compagnons, et 70.000 journaliers ; soit en tout 153.600 [hommes], sans compter la réqui­si­tion réalisée sous les ordres d’Adonhiram, pour travailler dans les montagnes du Liban, tour à tour avec les Sidoniens ; ce qui donne encore 30.000 [ouvriers], soit un total général de 183.600 [hom­mes]. 

Pour diriger ce grand nombre d’ingénieux Maçons, Salo­mon fut obligé de faire appel à Hiram, ou Huram, roi de Tyr, qui envoya à Jérusalem ses Maçons et ses Charpentiers, et à Joppa, le port le plus proche, des sapins et des cèdres du Liban. Mais par-dessus tout, il [le roi de Tyr] envoya son homonyme Hiram ou Huram, le plus accompli des Maçons de la terre. Et les dépenses prodigieuses faites pour l’œuvre entreprise en augmentèrent aussi l’excellence ; car outre les vastes préparatifs du roi David, Salomon, son fils plus riche, et tous les riches Israélites, et les nobles de tous les royaumes voisins, y contribuèrent largement en or, en argent et en riches bijoux, ce qui constitua une somme pres­que incroyable. 

Nous ne connaissons rien se rapportant à quoi que ce soit d’aussi grand en Canaan. Le mur qui entourait le Temple avait 7.700 pieds de circonférence. On ne trouve aucune struc­ture sacrée qui puisse lui être comparée pour sa beauté et ses proportions, tant du magnifique portique de l’est, qu’au glorieux et vénéré Saint des Saints de l’ouest, en passant par les appartements les plus agréables et les plus convenables à l’usage des rois et des princes, des prêtres et des lé­vi­tes, des Israélites et des Gen­tils ; car c’était une Maison de prière pour toutes les nations, et qui pouvait recevoir, dans le Temple proprement dit, et dans ses cours et appartements, pas moins de 300.000 personnes, ce qu’on peut déterminer par un mo­deste calcul, en allouant à chaque per­sonne une coudée carrée08.

Et si l’on considère les 1.453 colonnes de marbre de Paros, avec deux fois autant de pilastres, le tout étant orné d’admirables chapiteaux de plusieurs ordres ; et aussi environ 2.246 fenêtres, en plus de celles du dallage9, ainsi que l’indicible et coûteuse décoration intérieure (et on pourrait ici en dire beaucoup plus !), nous devons conclure que ce projet [de Temple] dépasse l’imagination. 

C’est à juste titre qu’il [le Temple] fut considéré comme étant de loin la plus belle œuvre de Maçonnerie de la terre, et la plus grande merveille du monde010 ; il fut dédié ou consacré, de la manière la plus solennelle, par le roi Salomon – en l’an 3000, soit 1004 ans avant Jésus-Christ.

Mais en laissant de côté ce qui ne doit pas, être et ne peut vraiment pas être communiqué par écrit, nous pouvons affirmer avec certitude que si ambitieux que fussent les païens en cultivant l’Art Royal, celui-ci ne fut jamais aussi perfectionné jusqu’à ce que Dieu daignât enseigner à son Peuple élu à dresser la majestueuse tente déjà mentionnée [le Tabernacle], et à édifier enfin cette magnifique Maison, appropriée à l’éclat spécial de sa Gloire, et où il demeura par­mi les chérubins sur le propitiatoire et d’où il donna de fréquents oracles. Ce très somptueux, splendide et glorieux édifice attira la curiosité des artistes de tous les pays, qui vinrent passer quelque temps à Jérusalem, à observer ses beautés par­­­ticulières – pour autant que cela fût permis aux Gentils. 

De sorte que ceux-ci se rendirent rapidement compte que le monde entier, même en unissant toutes ses capacités, restait bien loin derrière les Israélites pour la sagesse et la dextérité de l’Architecture, quand le sage roi Salomon était Grand Maître de la Loge de Jérusalem, le savant roi Hiram Grand Maître de la Loge de Tyr, et l’inspiré Hiram Abif Maître d’œuvre, alors que la Maçon­nerie se trouvait sous la con­duite et la direction du Ciel, et que les nobles et leurs épouses considéraient comme un honneur d’apporter leur aide aux maîtres et aux compagnons. 

Et quand le Temple du vrai Dieu eut fait l’admiration de tous les voyageurs, qui le prirent pour un modèle parfait, ceux-ci entreprirent à leur retour de rectifier l’Architecture de leurs propres pays. Ainsi, après la construction du Temple de Salo­mon, la Maçonnerie progressa-t-elle dans toutes les nations voisines ; car les nombreux artistes employés par Hiram Abif se dispersèrent, après son achè­vement, en Syrie, en Mésopotamie, en Assyrie, en Chaldée, à Baby­lone, chez les Mèdes, en Per­se, en Arabie, en Afrique, en Asie Mineure, en Grèce, et dans les autres pays d’Europe où ils enseignèrent cet Art libéral aux enfants nés libres de personnages éminents. 

Leur dextérité permit aux Rois, Princes et Potentats de cons­truire de nombreux édifices superbes et de devenir Grands Maîtres, chacun sur son propre territoire, et ils rivalisèrent à exceller dans cet Art Royal ; il en fut de même en Inde, avec laquelle ils étaient en relation. Mais aucune nation, seule ou unie aux autres, ne put rivaliser avec les Israélites, et encore bien moins les surpasser en Maçonnerieo; et leur Temple resta un constant modèle.

Qui plus est, la Maçonnerie du grand Roi Nebuchadnezar [Nabuchodonosor], malgré les avantages extraordinaires qu’elle possédait, ne put jamais égaler la puissance majestueuse et la magnificence des travaux du temple, qu’il brûla dans un accès de rage destructrice, quelque 416 ans après sa consécration. Au terme de ses combats et après avoir proclamé une paix générale, il se tourna vers 1’Architecture et de­vint Grand Maître Maçon ; il avait auparavant emmené en captivité les artisans expérimentés de Judée et d’autres pays qu’il avait conquis. Cela lui permit de réaliser la plus grande œuvre du monde, comprenant les murailles et la cité de Babylone, ses palais et ses jardins suspendus, son pont et son temple, soit la troisième des sept merveilles du monde mais ô combien inférieure à la sublime perfection de la Maçonnerie qu’avait été le charmant et saint temple de Dieu. Comme les prisonniers juifs étaient tout particulièrement utiles à Nabuchodonosor pour réaliser ses constructions magnifiques, on les fit travailler en permanence. Cela leur permit de conserver un haut niveau de compétence en Maçonnerie, et les rendit très capables de reconstruire le saint tem­ple et la cité de Salem sur ses anciennes fondations ; ce fut ordonné par un édit du grand Cyrus, conformément à la parole de Dieu qui avait prédit son rétablissement et ce décret.

Cyrus fit de Zorobabel, fils de Shéaltiel (de la lignée de David par Nathan, le frère de Salomon dont la famille royale était maintenant éteinte), le chef, ou prince en captivité, et le guide des Juifs et des Israélites. Revenus à Jérusalem, ceux-ci commencèrent à poser les fondations du second temple, et ils l’auraient achevé rapidement, si Cyrus avait vécuo; ils ne posèrent en fait la dernière pierre que la sixième année du règne de Darius, Roi de Perse. 

Le temple fut consacré dans la joie, avec une grande profusion de sacrifices, par Zorobabel, prince et Grand Maître Maçon des Juifs, vingt ans environ après le décret du grand Cyrus. Ce temple de Zorobabel était bien inférieur au Temple de Salomon. Il n’était pas aussi richement orné d’or, de diamants et de toutes sortes de pierres précieuses. Il ne con­tenait pas non plus la Shekinah et les saintes reliques de Moïse, mais il avait été érigé sur les fondations exactes du Temple de Salomon, et en respectant son plan. 

Ce fut donc l’édifice le plus resplendissant et le mieux proportionné du monde ; souvent, les ennemis des Juifs l’ont affirmé, et en ont convenu.

De là, l’Art royal fut apporté en Grèce, dont les habitants ne nous ont laissé aucune trace de progrès comparables en Maçonnerie, avant l’époque du Temple de Salomon. Leurs plus anciennes constructions, en effet, telles que l’Acropole d’A­thènes, le Parthénon, ou le temple de Minerve, les temples de Thésée, de Jupiter, les portiques et les forums, les théâtres et les gymnases, les salles publiques, les ponts étonnants, les fortifications régulières, les puissants vaisseaux de guerre, et les palais majestueux, tout cela fut construit après le Temple de Salomon et, même, pour la plupart d’entre eux, après le temple de Zorobabel.

On n’estime pas non plus que les Grecs avaient atteint une très grande connaissance de la Géométrie, avant le grand Thalès de Milet, le philosophe, qui mourut sous le règne de Balthazar, à l’époque de la captivité des Juifs. Son disciple, le grand Pythagore, fut l’auteur de la 47ème proposition11 du premier livre d’Euclide, qui est, si on y fait bien attention, ce sur quoi est fondée toute la Maçonnerie, sacrée, civile et militaire.

A cette époque, le peuple d’Asie mineure encourageait instamment les Maçons à construire toutes sortes d’édifices somptueux ; n’oublions pas l’un d’entre eux, dont on estime en général qu’il est la quatrième des sept merveilles du mon­de : il s’agit du mausolée, ou tombeau de Mausole, roi de Ca­rie, entre la Lycie et l’Ionie, à Halicarnasse, sur le flanc du mont Taurus, dans ce même royaume [de Carie]. Il fut érigé sur l’ordre d’Artémise, sa veuve éplorée, en témoignage admirable de l’amour qu’elle avait pour lui ; il était fait du marbre le plus surprenant, il avait 411 pieds de tour et 25 coudées de haut. Il était entouré de 26 colonnes de la meilleure facture, et il était ouvert de tous côtés, avec des  arches de 73 pieds de large. Il fut édifié par les quatre principaux Maîtres Maçons et graveurs de l’époque, Scopas pour le côté Est, Leochares pour l’Ouest, Brias pour le Nord, et Timothée pour le côté Sud.

Après Pythagore, la Géométrie devint l’étude préférée de la Grèce, là où sont nés beaucoup de grands philosophes. Certains ont découvert différentes propositions, ou éléments de Géométrie, et ils les ont adaptées aux Arts mécaniques. Il ne fait pas de doute que la Maçonnerie suivit le même ryth­me que la Géométrie ou, plutôt, en accompagna toujours les  progrès de manière régulière, jusqu’à ce que le génial Eucli­de de Tyr ne s’épanouit à Alexandrie. Rassemblant les éléments épars de la Géométrie, il les ordonna en un système qui n’a jamais été amélioré depuis (et, pour cette raison, son nom sera à jamais célébré), sous les auspices de Ptolémée, le fils de Lagus, roi d’Égypte, l’un des successeurs immédiats d’Alexandre le Grand.

Plus cette noble Science fut enseignée de manière systématique, plus l’Art royal fut estimé et utilisé parmi les Grecso; ceux-ci parvenant finalement à acquérir la même maîtrise et la même renommée que leurs Maîtres d’Asie et d’Égypte.

Ptolémée Philadelphe, le roi d’Égypte suivant, fut un grand utilisateur des Arts libéraux et de toutes les Sciences indispensables ; qui établit la plus grande bibliothèque de la terre et fut le premier à faire traduire l’Ancien Testament en Grec (au moins le Pentateuque). Il devint un excellent architecte et un Grand Maître Maçon. faisant ériger, entre autres grands édifices, la célèbre tour de Pharos, la cinquième des sept merveilles du monde. On peut aisément croire que les nations d’Afrique, jusqu’à la côte de l’Atlantique elle-même, imitèrent bientôt l’Égypte et accomplirent les mêmes progrès, mais l’histoire nous fait ici défaut, et aucun voyageur n’a été incité à rechercher les vestiges de la Maçonnerie de ces nations autrefois renommées.

N’oublions pas non plus la savante île de Sicile où Archimède, le prodigieux géomètre, s’illustra ; et où il fut malencontreusement massacré lorsque Syracuse fut prise par le général romain Marcellus. C’est de Sicile, en effet, aussi bien que de Grèce, d’Égypte et d’Asie que les anciens Romains apprirent à la fois la Science et l’Art : ce qu’ils en connaissaient avant était médiocre ou erroné ; mais à mesure qu’ils soumirent les peuples, ils firent des découvertes importantes dans l’une et dans l’autre. En hommes sages, ils ame­nèrent en captivité, non la masse du peuple, mais les Arts et les Sciences, en conduisant à Rome les plus éminents de ceux qui les professaient. 

Rome devint ainsi le centre du savoir comme celui du pouvoir impérial, jusqu’à ce qu’elle atteignît le zénith de sa gloire, sous César Auguste (sous le règne duquel naquit le Messie de Dieu, Grand Architecte de l’Église) qui, tout proclamant la paix universelle, apporta son soutien aux artisans qualifiés, nourris de liberté romaine, ainsi qu’à leurs savants éclairés, et à leurs élèves ; en particulier, au grand Vitruve, le père de tous les véritables architectes con­nus jusqu’à présent. 

On peut donc raisonnablement croire que le grand Auguste devint Grand Maître de la Loge de Rome. Outre la protection qu’il accorda à Vitruve, il améliora la condition des Compagnons du Métier, ce qu’on peut constater par les nombreux édifices, magnifiques, cons­truits sous son règne ; dont les vestiges demeurent les modèles de la véritable Maçonnerie pour tous les temps. Ils constituent en quelque sorte un véritable condensé de l’architecture de l’Asie, de l’Égypte, de la Grèce et de la Sicile ; auquel on donne souvent le nom de style d’Auguste [style classique], et que l’on s’efforce d’imi­ter sans jamais parvenir à sa perfection.

Les anciennes archives des Maçons font largement allusion à leurs Loges, depuis le commencement du monde, dans les nations civilisées, surtout en temps de paix, et lorsque les pouvoirs civils, haïssant l’esclavage et la tyrannie, laissèrent libre cours au génie libre et étincelant de leurs heureux sujets. A cette époque, en effet, les Maçons, bien plus que les autres artisans, étaient les favoris des grands, devenant indispensables pour les grands travaux qu’ils entreprenaient, avec toutes sortes de matériaux, non seulement la pierre, la brique, le bois, le plâtre, mais encore l’étoffe ou les peaux, ou quoi que ce fût qu’on employât pour les tentes ou les différentes formes d’architecture.

Il ne faut pas oublier non plus que les peintres, comme les statuaires ont toujours été estimés comme de bons Maçons, tout autant que les bâtisseurs, les tailleurs de pierre, les poseurs, les charpentiers, les menuisiers, les tapissiers ou les fabricants de tentes, et de nombreux autres artisans dont on pourrait dire le nom et qui travaillent en tenant compte de la Géométrie et des règles de la construction. Pourtant personne, depuis Hiram Abif, n’a été aussi renommé pour son savoir dans tous les travaux de Maçonnerie. Mais en voilà assez sur ce sujet.

Chez les païens, alors que la noble Science de la Géométrie était dûment pratiquée, avant et après le règne d’Auguste, ceci jusqu’au cinquième siècle de l’ère chrétienne, la Maçonnerie était tenue en grande estime. Et tandis que l’empire romain se maintenait avec succès, l’Art royal se propageait avec prudence, même jusqu’à Ultima Thule, tandis qu’une Loge était fondée dans presque chaque garnison romaine. 

Elles [ces Loges] communiquèrent ainsi généreusement leur savoir dans les régions septentrionales et occidentales de l’Europe, devenues barbares jusqu’à la conquête romaine, mais pendant un temps inconnuo; car il demeure, comme certains l’affirment, quelques vestiges de la Maçonnerie pratiquée pendant cette période, dans les colonies établies par elles : tels que les édifices celtiques, érigés par d’anciens gaulois, et par d’anciens bretons, issus d’une colonie des celtes, ceci bien avant l’invasion de cette île par les romains.

Lorsque les goths et les vandales, qui n’avaient jamais été soumis par les romains, envahirent l’empire romain comme un déluge universel, leur rage guerrière et leur ignorance grossière leur firent entièrement détruire un grand nombre des plus beaux édifices, et en saccager bien d’autres. Les nations d’Asie et d’Afrique subirent le même sort lors des con­quêtes des mahométans, dont l’intention première est uni­que­ment de convertir le monde par le feu et par l’épée, au lieu de cultiver les Arts et les Sciences.

Ainsi, lors du déclin de l’empire romain, quand les garnisons britanniques s’affaiblirent, les angles et autres saxons invitèrent les anciens bretons à venir les aider à lutter contre les scots et les pictes, et soumirent finalement la partie sud de cette île, qu’ils nommèrent Angleterre, ou Terre des Angles. Ceux-ci, parents des goths, ou plutôt d’une branche des vandales, avaient les mêmes dispositions guerrièreso; en païens ignorants, ils n’encourageaient que la guerre jusqu’au moment où ils devinrent chrétiens. Ils regrettèrent alors, mais trop tard, l’ignorance de leurs pères qui avait provoqué la perte de la Maçonnerie romaine, qu’ils étaient incapables de rétablir.

Cependant, devenus un peuple libre (comme l’attestent les vieilles lois saxonnes), et ayant des dispositions pour la Maçonnerie, ils se mirent bientôt à imiter les asiatiques, les grecs et les romains en fondant eux-mêmes des loges et en encourageant les Maçons. Ils apprirent, non seulement des traditions authentiques et de l’héritage pré­cieux des bretons, mais aussi des princes étrangers, dans les roy­aumes desquels l’Art royal avait préservé des Goths, en particulier, par Char­les Martell [Martel], roi de France. 

Celui-ci, selon les anciennes archives des Maçons, envoya en Angleterre, à la de­mande des rois saxons, des artisans expérimentés et des architectes érudits. Ainsi, pendant l’Heptarchie12, l’architecture gothique fut-elle encouragée ici autant que dans les autres pays chrétiens.

Bien que les nombreuses invasions des danois eussent occasionné la perte d’un grand nombre d’archives, durant des périodes de trêve et de paix, elles n’eurent pas une grande influence sur le Métier, bien que celui-ci ne fût pas du style d’Auguste. Les dépenses importantes qui furent alors faites par les Artisans, pour compenser la technique romaine (ils faisaient de leur mieux), démontrent l’estime et l’amour qu’ils eurent pour l’Art royal. Tout cela a rendu les constructions de style gothique vénérables, bien que n’étant pas imitables, par ceux qui apprécient l’architecture antique.


Lorsque les saxons et les danois eurent été soumis par les normands, dès lors que les guerres eurent pris fin et que la paix eut été proclamée, la Maçonnerie gothique fut encouragée sous le règne du Conquérant et de son fils, le roi Guillaume de Roux, qui fit bâtir Westminster Hall, sans doute la plus grande salle du monde. Ni les guerres des barons, ni les nombreuses et sanglantes guerres des rois normands et de leurs descendants, prompts à se quereller, qui suivirent, n’entravèrent l’érection des édifices les plus nobles et les plus somptueux de l’époque, élevés par le haut clergé (qui, jouissant de gros revenus, pouvait aisément en supporter la dépense), et aussi par la Couronne. On sait, en effet, que le roi Édouard III avait un officier appelé « Franc-Maçon du Roi »13 ou Inspecteur général des bâtiments. Celui-ci, qui se nommait Henry Yevele, fut employé par le roi à bâtir différentes abbayes ainsi que la chapelle Saint-Etienne à Westminster, où siège actuellement la Chambre des Communes.

Pour l’instruction future des candidats et des jeunes frères, il faut savoir qu’il existe une chronique des Francs-Maçons, écrite sous le règne du roi Édouard IV, de la dynastie des normands, qui donne le témoignage suivant :

« Bien que les archives anciennes de la Fraternité, en Angleterre, aient été en grande partie détruites ou perdues durant les guerres avec les saxons et les danois, le roi Athelstan (petit-fils du roi Alfred le Grand, architecte renommé), premier roi sacré en Angleterre, et traducteur de la sainte Bible en saxon, fit construire beaucoup de monuments importants et apporta son soutien à de nombreux maçons venus de France qui, nommés Surveillants, amenaient avec eux les obligations et les règlements des Loges, conservés depuis l’époque romaine. Ceux-ci décidèrent le roi à réviser la Cons­titution des Loges anglaises, suivant ce modèle venu de l’étranger, et à augmenter le salaire des Maçons opératifs.

« Le plus jeune fils du roi, le prince Edwin, apprit la Maçonnerie et assuma les obligations de Maître Maçon, par amour pour ce métier et les principes respectables sur lesquels il était fondé. Il sollicita du roi Athelstan, son père, une charte autorisant les Maçons à avoir le droit de punition (comme on disait dans le temps), ou le droit de s’administrer, d’améliorer ce qui n’allait pas, et de tenir une assemblée annuelle.

« En conséquence, le prince Edwin invita tous les Maçons du royaume à se joindre à lui pour tenir une assemblée, à York. Ils y vinrent et formèrent une Grande Loge dont il fut le Grand Maître ; ils avaient apporté avec eux tous les écrits et les archives qui existaient (certains en grec, d’autres en latin, en français, ou en d’autres lan­gues). L’assemblée utilisa ces documents pour établir la Constitution et les obligations d’une Loge anglaise, édicta une loi pour que cette Constitution fût toujours respectée, et ordonna que les Maçons opératifs fussent pourvus d’un bon salaire, etc.

« Par la suite, quand les Loges furent plus nombreuses, le très respectable Maître et les Compagnons, en accord avec les seigneurs du royaume (la plupart des grands étaient alors Maçons), décrétèrent que, désormais, lors de l’admission d’un Frère, le Maître ou le Surveillant lirait la Constitution, ainsi que les Devoirs placés en annexe. De même, ceux qui devaient être admis comme Maîtres Maçons ou Maîtres d’œu­vre devraient désormais subir un examen pour savoir s’ils possédaient bien les connaissances nécessaires pour servir leurs Seigneurs respectifs, le plus petit comme le plus grand, pour l’honneur du Métier, et au bénéfice de leurs Seigneurs ; car ce sont bien les Seigneurs qui les emploient et qui les paient pour le travail qu’ils accomplissento».


En plus de diverses autres choses, cette chronique stipule : 

« Ces obligations et ces règlements des Francs-Maçons ont été entièrement revus par feu notre souverain, le roi Henri VI, et par les Seigneurs de son respectable conseil, qui les ont approuvés et qui ont déclaré qu’ils étaient excellents et dignes d’être appliqués, car ils avaient été tirés des archives des temps anciens ».

La troisième année du règne du roi Henri VI (qui n’était encore qu’un enfant d’environ quatre ans), le Parlement promulgua une loi ne concernant que les Maçons opératifs qui, agissant en marge du statut des travailleurs, s’étaient en effet fédérés, non pour travailler, mais pour défendre leurs propres intérêts ; de tels accords étant sensés être établis lors de tenues de Grande Loge (appelées, dans la loi, chapitres et con­grégations de Maçons), il fut alors jugé approprié de brandir cette loi contre ces congrégations. 

Pourtant, lorsque le roi Henry VI fut parvenu à l’âge adulte, les Maçons lui présentèrent, ainsi qu’aux seigneurs de sa suite, les archives et les obligations citées plus haut ; il semble évident qu’ils les examinèrent et qu’ils les approuvèrent solennellement, comme étant bonnes et dignes d’être observées ; sans doute, le roi et les seigneurs de sa suite avaient-ils dû être admis chez les Francs Maçons, avant de pouvoir examiner leurs archives, en vue d’une révision. 

Au cours de ce règne, avant les troubles mentaux du roi Henri, les Maçons furent largement soutenus. Il n’y a d’ailleurs pas d’exemple qu’on ait mis la loi à exécution, ni au cours de ce règne, ni au cours d’aucun autre ensuite. Les Maçons n’en fréquentèrent pas moins leurs Loges à cause d’elle ; ils ne pensèrent jamais non plus qu’il valait la peine de faire appel à leurs frères nobles pour abroger cette loi. Les Maçons opératifs qui n’appartiennent pas à une Loge méprisent de tels arrangements, et les autres Maçons libres ne se soucient pas des in­fractions qui pourraient être commises envers les statuts des travailleurs.

Les rois d’Écosse ont beaucoup soutenu l’Art royal, depuis les temps les plus anciens jusqu’à l’union des [deux] Couronnes ; on le constate d’après les vestiges des édifices célèbres de cet ancien royaume, et par les Loges qui s’y sont main­tenues sans interruption durant plusieurs centaines d’an­nées ; leurs archives et leurs traditions attestent du grand respect de ces rois pour cette honorable Fraternité, qui a toujours donné maintes preuves de son amour et de sa loyauté. 

C’est de là que vient l’ancienne santé portée par les Maçons écossaiso: Que Dieu bénisse le Roi et le Métier !

L’exemple royal ne fut pas ignoré par l’aristocratie, la petite noblesse et le clergé d’Écosse, qui s’unirent en maintes circonstances dans l’intérêt du Métier et de la Fraternité, les rois étant souvent les Grands Maîtres, jusqu’à ce que les Maçons d’Écosse aient été encouragés à dé­si­gner un Grand Maître et un Grand Surveillant permanents, recevant leur salaire de la Couronne et reconnus comme tels par tout nouveau frère du royaume, lors de son admission. Ils étaient chargés, non seulement de régler les conflits pouvant se produire au sein de la Fraternité, mais aussi de prêter attention à tout différend pouvant survenir entre un Maçon et un Seigneur, de punir le Maçon s’il le méritait, et d’imposer à chacun une solution équitable ; en cas d’absence du Grand Maître (qui était toujours de noble naissance), il appartenait au Grand Surveillant de présider les audiences. 

Ce privilège subsista jusqu’à l’époque des guerres civiles, mais est maintenant tombé en désuétude et ne peut pas être vraiment rétabli à moins que le roi ne devienne Maçon, car il ne fut pas appliqué lors de l’union des royaumes. Le grand intérêt des écossais pour la Maçonnerie se révéla plus tard très utile à l’Angleterre ; car si la reine Elisabeth14, une érudite d’une grande noblesse, soutint d’autres Arts, elle ignora celui-ci, ceci du fait qu’en tant que femme, elle ne pouvait être reçue Maçon, même si à l’imitation de femmes célèbres (comme Sémiramis et Artémise), elle aurait pu employer elle-même un grand nombre de Maçons.

A sa mort, le roi Jacques VI d’Écosse lui succéda sur le trône d’Angleterre ; étant un Roi Maçon, il rétablit les Loges anglaises et, comme il était le premier roi de Grande-Bretagne, il fut aussi le premier Prince au monde à faire renaître l’architecture romaine des vestiges de l’ignorance gothique. Après plusieurs siècles d’obscurité et d’ignorance, dès que se ranimèrent tous les rameaux de la connaissance et que la Géométrie retrouva sa place, les nations civilisées se mirent à découvrir que le désordre et la confusion régnaient dans les œuvres gothiques.

C’est ainsi qu’au quinzième et au seizième siècles, le style d’Auguste se releva de ses cendres en Italie, grâce à Bramante, Barbaro, Sansovino, Sangallo, Michel-Ange, Raphaël, Giulio Romano, Serglio, Labaco, Scamozi, Vignola, et de nombreux autres grands architectes ; mais par dessus tout, par le grand Palladio, qui n’a jamais en­core été imité en Italie, bien que faisant en Angleterre l’objet de la rivalité de notre Maître Maçon Inigo Jones.

Si tous les Maçons véritables honorent la mémoire de ces architectes italiens, il faut avouer que le style d’Auguste ne fut restauré par aucune tête couronnée avant le roi Jacques VI d’Écosse (premier roi d’Angleterre), qui protégea l’illustre Inigo Jones à qui il demanda de construire son palais de Whitehallo; mais au cours de son régne sur toute la Grande-Bretagne, il n’en fut cons­truit que la salle des banquets, l’une des plus belles salles du monde. Le talentueux M. Nicholas Stone y travailla comme Maître Maçon sous la direction de l’architecte Jones.

A la mort du roi, son fils, le roi Charles Ier, qui était aussi Maçon, protégea également M. Jones ; il avait la ferme intention de poursuivre le projet de Whitehall, commencé par son royal père dans le style de M. Jones. Il en fut malheureusement empêché par les guerres civiles. Après la fin de ces guerres, et la restauration de la famille royale, on restaura de même la véritable Maçonnerie, tout particulièrement à l’occasion du malheureux incendie de Londres, en l’an 1666. On reconstruisit alors les maisons de la ville surtout dans le style romain15o; le roi Charles II fit édifier l’actuelle cathédrale Saint-Paul de Londres (car l’ancienne église gothique avait été réduite en cendres) dans le style de Saint-Pierre de Rome, et fit appel à l’architecte expérimenté Sir Christopher Wren. Ce roi établit aussi son palais royal de Greenwich d’après les plans de M. Inigo Jones (que celui-ci avait établi avant sa mort), et sous la direction du gendre de ce dernier, M. Webo; ce palais a été maintenant transformé en hôpital pour les marins. 

Il fonda encore Chelsea-College, un hôpital pour les soldats ; et à Édimbourg, il bâtit et acheva son palais de Holyrood-House, d’après les plans de Sir William Bruce, baronnet, Maître des travaux royaux d’Écosse, et sous sa direction. Si bien que selon la tradition, encore bien vivante des vieux Maçons, à laquelle on peut se fier, on a de bonnes raisons de croire que le roi Charles II fut un Franc-Maçon accepté [Accepted Free-Mason], car tout le monde admet qu’il fut un grand protecteur des hommes du Métier. Sous le règne de son frère, le roi Jacques II, bien qu’on continuât à construire quelques édifices de style romain, les Loges de Francs-Maçons de Londres tombèrent dans une grande désuétude, parce que n’étant plus suffisamment fréquentées.

Après la Révolution, en 1’an 1688, le roi Guillaume, bien qu’il fût un prince belliqueux, poursuivit la construction des deux célèbres hôpitaux de Greenwich et de Chelsea, parce qu’il avait du goût pour l’architecture. Il édifia aussi une bonne partie de son palais de Hampton Court, il fonda et acheva son incomparable palais de Loo, en Hollande, etc. L’exemple éclatant de ce prince illustre (reconnu comme Franc-Maçon par beaucoup de gens) encouragea l’aristocratie, la petite noblesse, les riches et les savants de Grande-Bretagne, à s’intéresser au style d’Auguste ; on le constate au grand nombre d’ouvrages étonnants construits dans tout le royaume. 

Dans la neuvième année du règne de notre défunte souveraine, la reine Anne, sa Majesté et le Parlement se mirent d’accord pour édicter une loi selon laquelle on construirait cinquante nouvelles églises paroissiales à Londres, à Westminster et dans les faubourgs ; la reine avait accordé le pouvoir à plusieurs ministres d’État, aux principaux membres de la noblesse, aux grands gentilshommes et aux citoyens éminents, à deux archevêques, à plusieurs évêques et aux dignitaires du clergé, de faire exécuter la loi. 

Ceux-ci ordonnèrent que ces nouvelles églises seraient bâties dans l’ancien style romain, ce dont on peut se convaincre en voyant celles qui ont déjà été construites. 

Les honorables délégués actuels, qui ont eux-mêmes un bon jugement en architecture, poursuivent le même grand programme, ce qui est louable, et ils font revivre le style antique, sur ordre, soutien et appui de Sa Majesté, le roi George, qui a bien voulu aussi poser la première pierre de la fondation de son église paroissiale de Saint-Martin des Champs, en son angle sud-est (représenté en cette occasion par l’actuel évêque de Salisbury). Cette église, forte, grande et magnifi­que, est actuellement en cours de reconstruction aux frais de ses paroissiens.

En bref, il faudrait de nombreux et grands volumes pour présenter tous les exemples nombreux et magnifiques de l’influence considérable qu’a eu la Maçonnerie depuis la créa­tion [du monde], à chaque époque et dans tous les pays, tels qu’ils pourraient être recueillis des historiens et des voyageurs. C’est particulièrement dans les parties du monde, où les européens ont établi des relations et font du commerce, que l’on a découvert certains vestiges d’antiques colonnades, grandes, étonnantes et magnifiques ; on ne pourra jamais, à cet égard, assez déplorer les destructions commises par les goths et les mahométans. On doit donc en conclure qu’aucun Art ne fut jamais aussi soutenu que celui-ci, et qu’en vérité, aucun n’est aussi grandement utile au genre humain.

Qui plus est, on pourrait démontrer, si nécessaire, que de cette ancienne Fraternité, les Sociétés (ou Ordres) chevaleresques, de même que les Ordres religieux, ont emprunté, au cours du temps, beaucoup d’usages solennels ; aucun d’eux n’a en effet été mieux fondé, plus correctement établi, ou n’a davantage respecté ses lois et ses obligations que les Maçons acceptés l’ont fait. Au cours des âges et dans chaque pays, ils ont maintenu et propagé leurs engagements, d’une façon qui leur est propre, à laquelle ne peuvent accéder les plus savants et les plus instruits, bien que ces derniers aient souvent tenté d’y parvenir ; ils se reconnaissent et s’aiment les uns les autres, même sans le secours de la parole, ou en parlant des langues différentes.

Les libres nations britanniques sont délivrées, aujourd’hui, des guer­res civiles et étrangères et jouissent des fruits délicieux de la paix et de la liberté. Elles ont largement, depuis peu, laissé libre cours à leur génie florissant pour tous les genres de la Maçonneries, et réveillé les Loges endormies de Londres. Cette belle métropole s’enrichit, comme d’autres régions, de Loges particulières de valeur, qui tiennent des assemblées trimestrielles et une année générale annuelle. Les formes et les usages de la très ancienne et vénérable Fraternité y sont enseignés, l’art royal dûment pratiqué, et le ciment de la Fraternité préservé ; si bien que l’ensemble du corps ressemble à une arche bien construite. 

Des nobles et des gentilshommes du plus haut rang, des membres du clergé et des savants érudits de toutes confessions et toutes dénominations, les ont délibérément rejoints, et ont accepté de se soumettre aux Obligations et de porter les décors du Maçon libre et accepté, sous l’autorité de notre actuel et digne Grand Maître, le très noble prince John, duc de Montagu.


(Notes en fin de page 29B)

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